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Les Noces de Prométhée
cantate
lost
Poem: Romain Cornut jeune , student in rhetoric at the Lycée Bonaparte, whose poem, submitted to the jury in advance of the Exposition Universelle of 1867, was chosen for the cantata competition.
« J'ai dérobé aux demeures célestes l'élément du feu, qui a été pour les mortels le maître de tous les arts, la source de tous les biens, et voyez par quel supplice j'expie ce crime ! »
I Récit
Aux confins du vieil univers,Sur d'horribles rochers connus des seuls hivers,Du vautour immortel, immortelle victime,Prométhée expiait le crimeD'avoir, par un pieux et sublime larcin,Aux palais éthérés ravi le feu divin :Le feu qui fait les Arts et qui fait l'Industrie,Qui produit le Génie et qui produit l'Amour,Et qui, régénérant notre race flétrie,Des mortels étonnés fait des dieux à leur tour.Il était là, cloué, le Titan inflexible ;Jupiter le frappait, sans pouvoir le punir ;Les siècles, en passant, semblaient le rajeunir.Muet dans sa douleur terrible,Le corps broyé, l'âme paisible,De son gibet inaccessible,Il regardait les temps venir.
II Chant de l'Humanité
L'heure de la délivrance,Cher amant, vient de sonner.Sous le beau ciel de la France,Vois notre hymen s'ordonner ;Vois ce palais qui se dresse ;Et cette immense richesseQue mon amour vient t'offrir ;Vois, dans leur pompe royale,Pour la fête nuptiale,Tous les peuples accourir.
Chœur des Peuples
Triomphe ! victoire !Paix et liberté !C'est le jour de gloireDe l'Humanité !
III Chant de Prométhée
Quel bienfaisant génie a délié ma chaîne ?Quelle puissance souveraineA vaincu le courrouxDes dieux cruels, des dieux jaloux ?O vents amis, où me transportez-vous ?Superbes portiques,Vos splendeurs magiquesEnchantent mes yeux ;Tout n'est que surpriseCharme, convoitise,Pour mes sens joyeux.Quelle main déploieLa pourpre et la soieSur mes membres nus ?A mon œil qui s'ouvreQui donc vous découvre,Secrets inconnus ?
Chœur des Peuples
Triomphe ! victoire !Paix et liberté !C'est le jour de gloireDe l'Humanité !
IV Prométhée et l'Humanité
De notre hymen c'est l'heure solennelle !Descendez, troupe des Amours ;Venez, venez sur la terre nouvelleFaire briller de nouveaux jours !Viens, toi surtout, bonne et sainte Justice,Qui fais la paix et l'unité ;A ta mamelle, ô céleste nourrice,Tous boiront la fraternité !
Chœur des Peuples
De notre hymen c'est l'heure solennelle !Descendez, troupe des Amours ;Venez, venez sur la terre nouvelleFaire briller de nouveaux jours !
Composition: April–May 1867. For the Exposition Universelle of 1867 two composition concours were announced in February by the Minister in charge, one for a Hymne, the other for a Cantate. Bizet entered for both (for the hymn, see Hymne de la paix). The words of the Cantate were put out for competition and Romain Cornut’s poem was chosen. The poem was published in Le Moniteur on 6-4-1867 and in the Revue et gazette musicale on 5-5-1867. The judges were named as Rossini, Auber, Berlioz, Carafa, David, Kastner, Mellinet, Mermet, Poniatowski, Reber, Thomas and Verdi, under the chairmanship of Gounod. The compositions had to be submitted by 1 June and identified only by a motto, with the author’s name and address to be attached in a sealed envelope. The jury selected a short list of fifteen of the 103 cantatas submitted, then a final list of four, submitted by Saint-Saëns, Massenet, Weckerlin and Guiraud. Saint-Saëns was declared the winner, but his cantata was not performed. Bizet pretended to Saint-Saëns that he had not competed.
'Guiraud et moi, nous avons remis nos petites saletés au concierge de la Commission impériale hier Mercredi 5, vers 10 h. ½. A notre aspect, ou plutôt à l’aspect de nos paquets, ce haut fonctionnaire s’est écrié : « Comment, encore ! Ah ça ! Mais tout le monde est donc musicien. Ah ! sacredié ! il est temps que ça finisse ! » Il y avait plusieurs personnes dans la loge, notre situation devenait cruelle. Je la relevai par un coup d’éclat : « Tout le monde n’est pas musicien, répondis-je, avec un air grand seigneur, et je vous prie de croire que nous ne le sommes pas plus que vous, mais je m’intéresse à un pauvre diable qui a ce malheur, et je vous recommande tout particulièrementt cette musique. » Ma phrase n’était pas achevée, et déjà le casque galonné de mon interlocuteur était à la hauteur de mes genoux. Tous les assistans s’inclinaient avec respect et disaient à part : « il n’est pas musicien ! » car tout le monde sait aujourd’hui que pour n’être pas musicien il faut être au moins Altesse... ou concierge.
Ouf ! C’est fini !...
J’ai passé deux nuits... et sans aucune vergogne... je viens vous signaler mes bibelots ainsi que ceux de mon cher Guiraud que j’ai fait concourir de force. Au milieu de cette bagarre, il pourrait arriver que nous fussions égarés ou omis... et ce serait vexant d’avoir tant pioché pour n’être pas même examiné ! [...]
Bizet, hymne, 'Fu il vincer sempre mai laudabil cosa' (Ariosto). Cantate: 'J’ai formé l’assemblage des lettres et fixé la mémoire, mère de la science et âme de la vie.' (Eschyle, Prométhée).
Et voilà ! d’avance mille gros mercis.'
'Concours de la cantate :
'On a envoyé 103 cantates :
- 4 ridicules
- 49 passables
- 35 bonnes
- 11 très bonnes
- 3 excellentes
- 1 parfaite
- ―
- 103 – Telle est l'opinion du jury.
- 1re séance : lecture de 52 cantates
- 2e séance : lecture de 51 cantates et choix des 15 remarquables
- ―
- 103
- 3e séance : relecture des 15 et choix des 4 meilleures.
- 4e séance : relecture des 4 et choix du prix.
'J'ai été des 15.
'Guiraud est des 4. Les trois autres sont Saint-Saëns, qui a le prix, Massenet et Weckerlin. On a cru reconnaître ma copie. C'est monsieur Jules Cohen qui a fait ce beau coup ! J'ai gueulé, et maintenant, on ne sait que penser. Plusieurs de ces messieurs m'ont dit : « La cantate qui vous était attribuée est très bonne. Elle ne vaut pas cependant ce que vous faites ordinairement. L'air de l'humanité est une charmante polka-mazurka ! » ... Mon cher ami, qu'en dites-vous ? est-elle jolie, celle-là ? Les malheureux ont lu cela allegretto grazioso ! Saint-Saëns avait écrit sa cantate sur du papier anglais, il avait déguisé sa copie, et ces messieurs ont cru donner le prix à un étranger !!!!!! – C'est une très belle fugue à deux chœurs qui a décidé du prix de Saint-Saëns dont je suis ravi. Du reste, le jury que vous connaissez s'en va clabauder partout que l'œuvre de Saint-Saëns est très remarquable, qu'elle atteste des facultés symphoniques extraordinaires tout en prouvant que son auteur ne sera jamais un homme de théâtre !... O humanité ! La cantate ne sera pas exécutée à la distribution des récompenses, M. Rossini ayant réclamé cette place pour un hymne de sa composition. Il a remis lui-même sa partition à S. M. l'Empereur. [...] J’ai été embêté une demi-heure. C’est bien fini. L’important était qu’on ne sache pas ma participation à ce concours; c’est fait.'
'La cantate était jugée par eux intéressante; ils pensaient qu’on pouvait écrire avec elle de la vraie musique, et celle de Bizet était belle, en effet. L’hymne, au contraire, accompagné par une fanfare, leur paraissait n’être qu’un chœur d’orphéon, et ils le tournaient en charge, s’étudiaient à être vulgaires. Bizet, pour qu’on ne reconnût pas son écriture, me le faisait copier, et je me souviens d’une bonne soirée de travail à nous trois, au mois de mai, rue Fontaine, Guiraud et lui orchestrant leurs cantates, moi transcrivant son hymne.'
'Guiraud et moi, nous étions aux deux bouts de la table, Bizet, au milieu, le piano derrière lui. Un moment, il se leva, essaya quelques accords à plusieurs reprises en fredonnant, puis se tournant vers nous, nous questionna : « Quels instruments entendez-vous ? Je n'arrive pas à trouver ce que je voudrais. » Nous le lui dîmes, tous les deux, Guiraud un peu distraitement, sans interrompre sa besogne, moi curieux de savoir ce qu'il penserait de ce que j'indiquais. Il nous répondit : « Oui, c'est cela, sans doute, mais pas tout à fait, pourtant. » Et il continua de chercher. Un instant après il reprit : « Je tiens ! J'ai assez de douceur avec les cors ; avec deux bassons, je n'aurais pas assez de mordant, je vais en mettre quatre. » Il ajoutait aussi les violoncelles, les altos et, peut-être, les clarinettes dans le chalumeau. Malheureusement, je ne me rappelle plus d'une façon suffisamment précise de tous les timbres qu'il employait. Ce qu'il m'est encore possible d'affirmer, c'est que du dosage de chacun de ces éléments et de leur mélange, il devait naître une sonorité nouvelle.'
- Dean 66, 272
- Lacombe 379-81