Malbrough s’en va-t-en guerre

'J’ai envoyé promener l’Athénée ! Mais ils sont venus pleurer chez moi et je leur ai bâclé le premier acte. Legouix est chargé du second, Jonas du troisième, et Delibes du quatrième. Le secret est assez bien gardé ; mais une femme vient de le découvrir, tout est perdu. Je nierai, du reste, effrontément. J’ai envie de siffler le premier acte, – sans compter que le public s’en acquittera bien sans moi ! J’ai été totalement refait et enfoncé. On m’a reproché mon manque de parole, on a pleuré et j’ai donné mon premier acte. Cela ne me rapportera pas un rouge liard. Décidément, je ne fais pas de progrès en affaires.'

'Est-ce vraiment si sérieux, et le mystérieux et bienveillant on n'est-il pas notre ami Bizet qui a voulu me faire une plaisanterie ? D'autre part, convient-il d'appeler opéra ou partition ces suites de petits morceaux à peine chantés, par quels chanteurs ! et qui règnent en ce moment sur tous ces ex-théâtres de Vaudeville ? Personellement je n'ai pas à me plaindre de cela puisque j'y ai gagné quelque notoriété, mais franchement, tout en tenant compte de ce qu'il faut pour ce genre, comme entrain et comme invention, et en pensant qu'on peut y faire acte de musicien, je trouve que Monsieur on lui accorde une grosse importance artistique. [...] Quant à Malbrough voici la vérité que je vous donne confidentiellement puisqu'on veut continuer le mystère jusqu'au bout. [...] Dans le principe on m'avait proposé de faire la musique de cette grosse pochade. J'étais inquiet de l'avenir de ce théâtre et la pièce ne me convenait qu'à moitié. J'hésitais ; sur ces entrefaites Bizet accepta cette tâche à la condition qu'on ne saurait pas de qui ce serait. Carvalho l'apprit cependant et lui fit comprendre qu'au moment de donner sa pièce au Théâtre-Lyrqiue on finirait par le savoir et que cela lui ferait du tort. Il le comprit et abandonna la chose en laissant toutefois le 1er acte, mais sans être orchestré (j'ai su tout cela depuis). – On proposa la suite à deux autres musiciens qui n'arrivaient pas assez vite, paraît-il, car un beau matin, je vis arriver chez moi Busnach qui me demandait comme un service de faire le 4e acte en quelques jours. Mon nom ne serait pas prononcé, et personne ne se douterait que j'étais pour quelque chose dans la pièce. J'acceptais, mais une fois que j'eus terminé ces quelques morceaux je voulus les faire exécuter le moins mal possible, et comme d'autre part ma copie avait été reconnue je ne cachais presque plus au théâtre que j'étais l'auteur d'une partie de ce chef-d'œuvre. Voilà comment on me l'a atrribué tout entier. Mais franchement je ne peux accepter la paternité du 1er acte qui est de Bizet, orchestré par je ne sais qui (j'ai refait seulement un morceau pour Suzanne Lagier) ; de l'ouverture qui est du chef d'orchestre, du second acte qui est de Jonas, du troisième d'un M. Legouix. [...] Voici, Chère Madame, la vérité sur cette ténébreuse affaire.'